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Apr 19, 2013
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article in french in the Voice of Russia

 

« Les larmes aux yeux tellement c'était magnifique ». Partie 1

Entretien avec le gambiste Gilles Zimmermann. Gilles 55 ans, est un musicien lorrain de Nancy qui a découvert la viole après un long parcours depuis le blues, le rock, le jazz et la musique improvisée à partir de 1974. La musique comptant plus que tout pour lui, il se moque à l'époque de son bac pour passer un examen au conservatoire avec succès. Après une période de guitariste et de bassiste avec des musiciens londoniens, Gilles Zimmermann s'est installé en Bavière. Aujourd'hui, après un réel long parcours de gladiateur de la musique, Gilles Zimmermann sort son CD, The Missing Link (chaînon manquant), sur le label Art-mode records http://www.art-mode-records.com/.

La viole de gambe reste un instrument de musique énigmatique car c'est un instrument jalousement conservé par le monde baroque. En 1993 le futur gambiste commence à travailler la viole de gambe, longtemps après avoir vu et entendu le son de la viole dans la MJC où il donnait des cours de guitare au début des années 80.

La viole a fait son entrée dans le grand public avec le film Tous les matins du monde. Et c'est le jour de la sortie du film que vous allez chercher pour la première fois votre viole ?

Oui, curieusement, le film est sorti au moment où j'allais chercher ma viole terminée en 1993...

C'est quoi comme modèle ?

Ma viole est un modèle Collichon de 1640, une famille de luthiers de Paris. Quand j'ai discuté de mon projet avec le luthier, Werner Hartwig, il m'a montré divers modèles et plans de construction. J'ai mis le doigt sur le modèle qui me plaisait et il m'a dit : « C'est dingue, c'est un modèle français».

Combien d'heures a-t-il fallu investir pour construire votre viole ?

Il faudrait demander à Werner Hartwig. Entre la commande et la livraison, j'ai attendu trois mois. A partir du moment où j'ai décidé de commander une viole, j'ai cherché un luthier qui avait déjà fabriqué cet instrument. Tous les luthiers rencontrés m'ont répondu qu'ils pouvaient fabriquer une viole de gambe. En fait, ce n'est pas le cas. Il faut un spécialiste. Je le savais de James Trussard, un fabricant de guitare électrique aussi originaire de Nancy. Il n'y a pas à tortiller de l'archet, il faut le know-how. J'ai donc passé encore six mois à aller voir divers luthiers. Je suis même allé jusqu'à Vienne pour rencontrer Friedrich Goldnagel. C'est un fabricant de violons de réputation mondiale. Ses violons sont aussi renommés que les Stradivarius. Il était très intéressé mais… il ne fabrique QUE des violons (chers).

Tous les matins du monde parle bien de la viole ?

En fait, je trouve que le scénario de ce film laisse bien à désirer. Mais d'un côté la viole de gambe y a le rôle principal malgré les respirations quelques peu exagérées de Depardieu. Il faut savoir que les baroques ont la fâcheuse tendance à jouer des trucs tristes et mélancoliques. Ce n'est pas un hasard. C'est la Renaissance qui a inventé la peur de la mort. Cependant je me reconnais dans ce passage où Saint Colombes se fait construire une cabane dans son jardin pour y travailler en paix. J'habite dans la campagne bavaroise. J'y suis très heureux même si parfois j'aimerais transporter ma maison vers la Drôme.

D'où vient cet instrument ?

Le monde baroque considère que la viole aurait été inventée au Moyen Âge parce qu'il y a une peinture quelque part... Son origine provient du Moyen-Orient. La viole est dérivée du luth.Elle est surtout fabriquée comme une guitare, mais le manche est arrondi. On dit que les violes étaient connues au Caire au Moyen Âge. Mais je n'ai jamais vu de sources sures. Au 1er siècle av. J.-C Plutarque explique dans sa vie d'Alcibiade « que ce petit galopin n'aimait pas jouer de la flûte parce qu'on a l'air ridicule» mais que « la viole avec l'archet avait beaucoup plus de classe». La traduction d'Amyot du XVIe siècle (1559) dit bien « archet » même si le mot viole n'est peut-être pas le mot utilisé par Plutarque en grec. Le problème est que le nom vihuela a plusieurs orthographes et change d'une langue d'un pays à l'autre. Et puis enfin, le jour où quelqu'un a été inspiré pour inventer un arc, il a aussi inventé l'archet, non ?

Qui est la référence selon vous de la viole d'aujourd'hui ?

Jordi Savall est un grand expert. Il y en a d'autres bien sûr. Mais, lui a de la bouteille… Malheureusement la viole est étouffée par les œillères classiques. Jordi Savall, c'est quand même le ponte. Jordi Savall tente les rencontres avec des musiciens du Moyen-Orient. Je ne trouve pas cependant ses improvisations très convaincantes, mais je n'ai jamais pu l'apprécier en live. Le véritable problème est que l'improvisation modale a disparu en Occident. Il ne faut pas croire la redécouvrir en étudiant des partitions.

La viole est un instrument pour les riches ? Pour une certaine classe ?

Une viole de gambe coûte entre 3 000 euros et 7 000 euros et plus. Mais les chinoises, nouvelles venues sur le marché, sont à 1 500 euros et débarquent en Europe. Il faut changer le jeu de cordes en boyau toutes les six semaines si on joue régulièrement. Cela coûte entre 300 euros à 400 euros. Il faut aussi investir un minimum de 1 000 euros dans un bon archet. Et il ne faut pas oublier encore un étui qui revient à 800 euros. Il y a « un genre conservatoire » assez crispant. Ce sont ces gentes demoiselles qui s'affichent toujours avec leurs (très) longs cheveux bien propres sur de magnifiques robes de gala. Mais à écouter de plus près, elles n'ont pas de son. Il y a une flopée d'amateurs. Je vois aussi beaucoup de femmes genre « libérées et New Age » qui jouent de la viole comme elles joueraient du djembé. Je sais, cet instrument n'est pas si facile. Il faut aussi dire que la mentalité universitaire, où le prof est une idole, est malheureusement beaucoup trop répandue.

La viole, une guitare ?

Je suis apparemment le seul qui ose dire la vérité. Oui, la viole est une guitare qu'on peut jouer à l'archet.

Pourquoi avoir choisi la viole ?

J'en avais marre de deux choses : Les montagnes de décibels du rock et de devoir jouer comme Pat Metheny ou comme un autre guignol en vogue du moment même si j´aime bien certains trucs de Metheny. Je cherchais un instrument acoustique avec lequel je pourrais faire des sons soutenus comme la guitare électrique. Un instrument à archet semblait la solution. J'ai essayé le violoncelle mais les quatre cordes et leur accord en quintes ne sont pas mon truc. La viole a l'avantage d'être presque une guitare. Elle s'accorde aussi en quartes. On peut donc théoriquement y transposer directement les doigtés de la guitare.

Quel est votre parcours musical ?

J'ai fait le conservatoire à la contrebasse après trois ans de guitare blues-rock et de piano plutôt classique en autodidacte. J'ai commencé le piano en improvisant et développant mes premières compositions. Je suis un peu un dinosaure et d'une génération où il y avait tout à faire soi-même. On déchiffrait Hendrix ou Charlie Parker à l'oreille. Il n'y avait pas de manuels érudits comme aujourd'hui. J'ai joué dans des groupes de rock, puis plutôt rock progressif, genre Yes, Genesis, Magma, Gong, Henry Cow. J'avais créé un groupe qui s'appelait Axe avec Francis Kuntz, qui s'appelle depuis Kafka et bosse pour Groland. C'était du « jazz-rock libertin » assez punk. On était véritablement méprisés… une véritable galère, avec même des morts… Puis je suis parti dans la Drôme où j'ai commencé le jazz et la musique improvisée avec les gens de l'ARFI à Lyon. Mais aussi avec des gens autour d'Etron Fou Leloublanc. Je suis ensuite revenu à Nancy où je suis rentré dans une association de musiciens, le Nancy Jazz Action dont je suis devenu président de 1982 à 1984. Après je suis parti, d'abord à Paris puis à Londres.

 

http://french.ruvr.ru/2013_04_18/Les-larmes-aux-yeux-tellement-cetait-magnifique-Partie-1/